Le mois de juin 2021 est propice au renforcement des relations entre l’Europe et l’Asie. Au début du mois, le Haut représentant (HR) s’est rendu en Indonésie afin d’y rencontrer les principaux dirigeants, mais également visiter le secrétariat de l’ASEAN situé à Jakarta. Lors d’un atelier organisé par un Think tank indonésien, Centre for Strategic and International Studies, le HR a évoqué les grandes lignes de la stratégie européenne pour l’Indopacifique, adoptées par le Conseil en avril 2021. Après l’Indonésie, un autre sommet sur les relations entre l’Europe et l’Asie s’est tenu le 22 juin 2021, la 25ème session du High Policy Dialogue du Dialogue Asie-Europe, l’ASEM. Cela sur fond d’un exercice naval conjoint anti piraterie entre l’Inde et l’UE dans le golfe d’Aden. L’Union européenne affiche ainsi son intérêt pour l’Asie, mais y-a-t’il un partenaire privilégié pour y renforcer sa présence. Tour d’horizon de ces rencontres…
L’Indonésie au centre de la stratégie européenne
Plusieurs éléments font de l’Indonésie un partenaire appréciable pour l’UE. Au-delà de son poids économique en Asie du Sud-Est, son potentiel de croissance, s’il se confirme, en fera un des acteurs majeurs de l’économie mondiale. De plus, l’Indonésie va assurer les présidences du G20 en 2022 et de l’ASEAN en 2023. Alors qu’en décembre 2020, une nouvelle feuille de route UE-ASEAN avait été adoptée lors de la 23ème rencontre ministérielle ASEAN-UE, l’Indonésie est donc appelée à occuper une place de choix sur l’agenda européen. Que ce soit celui de l’UE, mais aussi celui de certains États membres comme l’Allemagne, l’Italie avec la vente de frégates ou le projet de coopération de défense avec la France. L’inauguration des nouveaux locaux de la délégation de l’UE en Indonésie sera l’occasion d’en faire le bilan.
Sur le plan des questions d’ordre global, que ce soit la lutte contre le changement climatique, la réussite de l’agenda des Nations unies, en particulier les objectifs de développement durable, ou leur coopération dans la région Indopacifique, l’UE et l’Indonésie partagent une même vision. Cependant, si la pandémie a perturbé le bon ordre de l’agenda global, un contentieux sur l’huile de palme persiste depuis trois ans. Alors que l’huile de palme compte parmi les principales exportations indonésiennes, les nouvelles directives européennes sur les énergies renouvelables adoptées en 2019 font de la lutte contre la déforestation une priorité. Or, la surface de la forêt indonésienne diminue d’année en année, en partie pour permettre d’étendre la culture de palmiers à huile.
Bien que l’UE n’ait pas institué de blocus sur l’importation d’huile de palme en provenance d’Indonésie, ces dernières ayant même augmentée de 26% entre 2019 et 2020, Jakarta perçoit les nouvelles directives européennes comme une tentative de limiter ses exportations, sous couvert de défense de l’environnement, alors que l’UE représente un des trois principaux marchés. Ainsi, les négociations sur l’accord économique CEPA, Comprehensive Economic Partnership Agreement, entamées en 2016 sont perturbées depuis trois ans, l’Indonésie ayant même lancé une procédure à l’OMC contre l’UE sur ce sujet, tout comme son voisin et rival malaisien. Malgré ce contentieux, la cinquième rencontre du Joint Committee qui s’est tenue le 22 juin a permis de mettre en avant leur coopération bilatérale dans de nombreux domaines, dont celui de la sécurité qui, selon le HR, va devenir central dans cette relation. D’autant plus qu’un Joint Working Group spécifique à la résolution de la question de l’huile de palme a été créé en février 2021.
L’UE, l’ASEAN et l’Indopacifique
La compétition entre Pékin et Washington a révélé le rôle central que pourrait jouer l’ASEAN dans la définition de l’Indopacifique. Définie comme un swing state par le HR, l’association doit composer à la fois avec son partenaire économique et voisin, la Chine, mais également avec les États-Unis, très impliquée en Asie du Sud-Est depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais tout comme l’Union européenne, l’ASEAN est à la recherche d’une autonomie stratégique que seule la diversification de ses partenariats lui permettra d’obtenir. Cependant, elle reste divisée sur la perception de l’influence de la Chine au sein des États de l’association, comme la position du Cambodge l’a démontré en 2012 quand Phnom Penh bloqua l’adoption d’une position commune sur la situation en mer de Chine, à la satisfaction de Pékin.
Ainsi, s’aligner sur le Quad ou sur la Chine représente un risque majeur pour l’ASEAN, mais cela peut être une chance pour l’Union européenne, partenaire de longue date de l’association. L’UE est un partenaire économique majeur pour l’ASEAN, que ce soit pour le commerce bilatéral et les investissements, mais elle est également concernée par la stabilité et la sécurité dans la région, 40% de son commerce empruntant les routes maritimes qui traversent la mer de Chine méridionale. Elle l’est aussi par la défense des droits de l’homme et c’est dans cette optique qu’elle fait la promotion de sa vision de l’Indopacifique, proche de celle défendue par l’ASEAN, Outlook on the Indo-Pacific.
D’où la volonté de lier les deux principales organisations régionales au monde par un partenariat stratégique pour à la fois promouvoir et défendre leurs intérêts communs, le multilatéralisme et le respect du droit international. C’est dans ce sens que la stratégie indopacifique de l’UE est implicitement liée au rôle que l’ASEAN pourrait prendre dans cette région, en complément de l’action des États membres de l’UE. L’ASEAN et l’UE disposent déjà d’un mécanisme de dialogue sur le thème de la sécurité maritime et prévoient désormais d’améliorer la surveillance des routes maritimes allant de l’Océan indien à l’Asie du Sud-Est.
L’ASEM
Mettant l’accent sur l’impact de la pandémie et sur l’aide que l’UE apporte à travers le dispositif COVAX, cette rencontre de hauts responsables des 53 membres de l’ASEM fut également l’occasion de rappeler l’interdépendance des deux régions sur le plan économique. L’UE investit massivement en Asie tandis que cette dernière est la deuxième destination pour les exportations européennes. Ce sont donc des partenaires indispensables bien que, à la différence de la relation UE-ASEAN, l’ASEM est un forum d’échange afin de favoriser la coopération. Si les membres de l’ASEAN, tout comme ceux de l’UE en sont membres, d’autres nations en font partie. Comme la Chine depuis le premier sommet en 1996 tandis que l’Inde ne rejoindra le dialogue qu’en 2008.
Les trois piliers définis (politique, économique et culturel) couvrent l’ensemble des possibilités de coopération, mais, du fait d’intérêts divergents, ce ne sera pas nécessairement le sommet au sein duquel l’Asie et l’Europe pourront inaugurer d’ambitieux programmes de coopération. Lors de cette rencontre, le HR a mis l’accent sur la nécessité de respecter le droit international et l’UNCLOS, mais n’a pas évoqué la stratégie européenne pour l’Indopacifique qu’un autre membre, la Chine, peut considérer comme une tentative d’endiguement de la part de l’Occident.
L’ASEM 13, qui se tiendra en novembre, aura pour thème le renforcement du partenariat. Dans un contexte marqué par la pandémie et une Asie sous tension, les discussions peuvent être intéressantes, mais avec le processus ASEM, il faut suivre les nombreux sommets annexes créés au fil du processus. Abordant divers thèmes comme des rencontres interparlementaires, entre homme d’affaires ou pour évoquer le droit du travail, c’est la réussite majeure de ce dialogue avec au centre, l’ASEF, le pilier culturel de l’ASEM depuis 1998.
L’Inde
Tout comme avec l’ASEAN, l’UE a initié avec elle en janvier 2021 un mécanisme de dialogue sur la sécurité maritime. Le 18 et 19 juin 2021, un exercice naval conjoint anti piraterie UE-Inde a impliqué une frégate indienne et des éléments de la mission européenne EU Navfor Somalia dont les deux bâtiments de la Marine nationale Surcouf et Tonnerre ainsi qu’une frégate italienne et une frégate espagnole. Malgré sa proximité avec les États-Unis, Delhi montre de l’intérêt au déploiement des marines européennes dans l’océan indien, que ce soit à l’initiative des États membres ou de l’UE. Si elle attend que les paroles deviennent des actes, c’est en raison des stratégies pour l’Indopacifique adoptées par les États membres, celle de Berlin étant plutôt destinée à ne pas froisser son principal partenaire commercial, la Chine, tandis que celle de Paris est plus proche de la vision indienne.
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Ainsi, l’Union européenne dispose de plusieurs partenaires asiatiques pour promouvoir sa stratégie pour l’Indopacifique. L’Indonésie, l’ASEAN et le partenariat UE-Inde comptent parmi les vecteurs les plus importants que l’Union européenne utilise pour accroitre sa visibilité et son action dans cette région. Le dialogue ASEM étant plus consensuel, la rencontre lui a offert la possibilité de rappeler ses positions et ses inquiétudes, en particulier celles qui concernent les tensions en mer de Chine. Néanmoins, malgré les remous provoqués par le coup d’État au Myanmar, l’ASEAN semble être le partenaire de raison, mais elle peut avoir à affronter des divisions internes sur certaines questions. Dans ce cas, la relation avec l’Indonésie sera primordiale. Mais l’UE devra également préciser ses positions sur sa coopération avec les pays de la région Indopacifique, ce qu’elle prévoit de faire lors d’une communication en septembre 2021.
En attendant de voir comment évoluera le partenariat stratégique entre l’UE et l’ASEAN, l’UE et l’Inde, mais également celui entre l’ASEAN et l’Inde, certains États membres, comme la France, bâtissent une coopération crédible avec Delhi…
Pour aller plus loin :
La politique étrangère et de sécurité commune et l’Asie : l’ère de l’apprentissage pour la diplomatie européenne ? 1991-2011. Hervieu Jérôme, Thèse de doctorat.
Sur Chroniques d’Asie et d’Europe :
Défense et partenariat stratégique, le renforcement des liens UE-ASEAN
L’UE, les États membres et l’Indopacifique, un fauteuil pour deux ?
Sources et documents (en anglais) :
Co-chairs’ press release of the 23rd ASEAN-EU ministerial meeting
Indo-Pacific: Council adopts conclusions on EU strategy for cooperation
Centre for Strategic and International Studies
The European Union and Indonesia move forward with their diversified bilateral agenda
Why I went to Jakarta and why the Indo-Pacific matters for Europe
“EU, ASEAN natural partners with common agenda”, opinion article by EU HRVP Josep Borrell
Asean people would rather side with US over China in 2021 if forced to make a choice