L’UE, les États membres et l’Indopacifique, un fauteuil pour deux ?

La France, l’Allemagne et les Pays-Bas ont déjà défini des stratégies pour l’Indopacifique tandis que Josep Borrell, le Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a publié en mars un plaidoyer en faveur d’une stratégie semblable, mais commune à l’Union européenne. Quels peuvent en être les fondements et sa portée ? Et avec qui ?

Les États membres en éclaireurs

Alors qu’il présentait leur stratégie pour l’indopacifique, les Pays-Bas appelaient l’Union européenne à faire de même, la région étant une zone vitale pour le commerce européen. Après la France et l’Allemagne, les Pays-Bas furent le troisième État membre à présenter un tel concept, bien que les intérêts à défendre ne soient pas nécessairement semblables selon les États. Si l’idée commune est de diversifier ses partenariats en Asie dans le contexte d’une guerre commerciale sino-américaine et des tensions récurrentes en mer de Chine méridionale, la France n’hésite pas à critiquer la politique menée par la Chine tandis que l’Allemagne tente, au mieux, d’éviter les tensions.

En effet, l’Asie représente une part importante dans le commerce extérieur de l’Allemagne, et c’est sous la présidence allemande que la Nouvelle stratégie asiatique fut lancée en 1994, avec des objectifs, avant tout, économiques. Le Royaume-Uni post-Brexit n’est plus un État membre, mais, avec ou sans l’UE, Londres à une longue histoire avec l’Asie. Sa volonté de revenir à « l’est de suez » est une des raisons qui ont poussé le Royaume-Uni à clarifier sa stratégie pour l’indopacifique au début de l’année 2020.

« Une approche stratégique pour la région indopacifique » selon Josep Borrell

Dans un billet sur son « blog », le Haut Représentant a pointé la nécessité pour l’UE de rééquilibrer ses partenariats en Asie alors que la Chine se présente à la fois comme « un partenaire, un concurrent et un rival ». Pour le HR, il s’agit de maintenir le dialogue et la coopération avec Pékin tout en se permettant de manifester son opposition « le cas échéant ». La quête de rééquilibrage se fait par le renforcement des partenariats avec les pays qui partagent les valeurs de l’UE, la plupart étant des démocraties (Japon, Inde, Corée du Sud, Australie et Nouvelle-Zélande), la situation étant plus complexe avec l’ASEAN.

La particularité de sa vision est de définir une approche commune qui n’a pas pour but de remplacer les partenariats bilatéraux établis par l’Union européenne, mais de faire reposer cette vision commune sur le respect du droit international, parallèlement à la coopération bilatérale « en matière de commerce et d’investissement, de climat et de biodiversité, de technologies émergentes ou de nouvelles menaces pour la sécurité ». Si cet équilibre semble difficile à trouver, l’UE a toujours défendu le respect du droit international en mer de chine méridionale ainsi que le respect de l’UNCLOS. Avec 40% de son commerce qui transitent par cette zone, l’UE ne peut rester impassible face à la montée des tensions. Le principal conseiller militaire du Service européen pour l’action extérieure, le contre-amiral Jurgen Ehle, l’avait rappelé lors de la douzième conférence sur la mer de Chine méridionale à Hanoi en novembre 2020.

Afin que les positions défendues par l’Union européenne puissent compter, elle doit renforcer son partenariat avec un pays qui compte dans les stratégies indopacifiques des États membres, l’Inde.

L’Inde, pivot de l’indopacifique ?

C’est à Lisbonne qu’avait eu lieu en 2000 le premier sommet entre l’UE et l’Inde, deux ans après le premier sommet entre l’UE et la Chine. Et c’est à Porto que se déroulera en mai 2021 le 16ème sommet UE-Inde avec l’espoir que le « partenariat stratégique », signé en 2004, prenne tout son sens, Josep Borrell déclarant lui-même que le « potentiel de nos relations n’a jamais été pleinement exploité ».

Lors du dernier sommet, en juillet 2020, les deux parties avaient créé une commission ministérielle afin de faire progresser le dossier du Bilateral Trade and Investment Agreeement, en négociation depuis 2006, mis de côté temporairement par la crise économique en 2008 puis perturbé à partir de 2013 par des blocages dans certains domaines (automobiles, boissons alcoolisées).

Alors que l’Inde et l’UE se retrouvent dans la défense et la promotion du multilatéralisme, l’Inde espérant un appui de Bruxelles en faveur d’une refonte du Conseil de Sécurité de l’ONU, les deux parties ont entamé en janvier 2021 un dialogue sur la sécurité maritime. Ce dernier pourrait représenter la première étape concrète d’un partenariat renouvelé entre l’Union européenne et l’Inde en indopacifique, la défense de la liberté de circulation maritime étant mis en avant par Josep Borrell. En juillet 2020, en plus de ce dialogue, il avait été décidé de renforcer leur coopération en termes de cybersécurité, de prévention des conflits et de coordonner leurs projets de développement dans les pays tiers.

L’Inde sera donc indispensable dans la définition d’une stratégie commune de l’Union européenne pour l’indopacifique, mais les États membres, également. Par le renforcement de leur présence dans la région, et leurs opérations de liberté de navigation (FONOP), les États membres de l’Union européenne envoient un message aux pays de la région, démontrant leur volonté de s’y impliquer politiquement et militairement.

Mais si l’Union européenne réussit à s’accorder sur une stratégie commune ambitieuse, cette dernière sera pour la Politique Etrangère et de Sécurité Commune un pilier aussi important, voir plus important, que le pilier transatlantique ainsi qu’une étape majeure vers une Commission européenne «géopolitique ».

Pour aller plus loin :

L’UE a besoin d’une approche stratégique pour la région indopacifique

Keynote Address by Rear Admiral Jürgen Ehle – Senior Military Advisor to EEAS at the 12th South China Sea International Conference

Inaugural India – EU Maritime Security Dialogue

Joint Statement – 15th EU-India Summit, 15 July 2020