L’Indopacifique
En novembre 2020, les Pays-Bas furent le troisième État membre à présenter un concept de stratégie pour la région Indopacifique, après la France en 2018 et l’Allemagne en septembre 2020(voir l’actualité). Au centre de ces stratégies, la relation avec l’Inde, la protection des routes commerciales et l’attitude à adopter face à la montée en puissance de la chine et de ses prétentions. D’autres états membres européens, comme l’Italie, ou un pays européen comme le Royaume-Uni sont en pleine réévaluation de leurs liens avec l’Inde, mais sans avoir à ce jour clairement accepté ce concept.
Dans le cas du Royaume-Uni post-Brexit, le Premier ministre devait y effectuer son premier voyage officiel à l’occasion du Republic Day, l’aggravation de la pandémie ayant entrainé l’annulation de la visite. Cependant, un vaste accord commercial est en négociation. Avec l’Italie, les liens se resserrent entre Rome et Delhi, mais il ne faut pas perdre de vue que la péninsule est également courtisée par Pékin, ce que la crise sanitaire n’a fait que renforcer.
Aussi, l’attrait de l’Inde va-t-il permettre la définition d’une stratégie indopacifique européenne ?
Les positions néerlandaise et allemande
Si la Chine reste leur principal partenaire commercial dans la région, dans le contexte sanitaire, les deux pays souhaitent apporter plus de diversités dans leurs échanges commerciaux en mettant en avant plusieurs pays dont la Corée du Sud, la Nouvelle-Zélande, l’Australie et surtout l’Inde, mais aussi l’ASEAN. Plus qu’une alternative ou un complément à la Chine, un renforcement des liens avec l’Indo-Pacifique atténuerait également la dépendance envers les États-Unis et les conséquences de la guerre commerciale sino-américaine ou chacun doit choisir son camp.
Les Pays-Bas mettent en avant la nécessité pour Pékin de respecter le droit international, que ce soit dans les contentieux en mer de Chine méridionale, mais également dans le domaine des droits de l’homme. Les inquiétudes quant à la liberté de circulation en mer de Chine méridionale, mais aussi dans le détroit de Taiwan, sont partagées par l’ensemble des pays européens sachant que l’ASEAN est également un partenaire commercial de premier plan pour l’UE et plus particulièrement pour les Pays-Bas, le second plus grand exportateur de l’UE vers ces pays, derrière l’Allemagne. Pour le commerce extérieur allemand, la région asiatique est vitale, elle y a vu ses exportations progresser de 7% en moyenne par an ces dernières années alors que, globalement, la progression n’est que de 3%(Regional Economic Outlook: Asia Pacific).
Une stratégie européenne commune ?
Ainsi, Amsterdam appelle l’Union européenne à définir une stratégie Indo-Pacifique et à s’impliquer dans les questions asiatiques en obtenant une place d’observatrice dans les négociations entre l’ASEAN et la Chine au sujet du Code de conduite en mer de Chine méridionale qui doivent s’achever fin 2021. Pour l’instant, Bruxelles n’a pas fait sien le concept d’Indo-Pacifique et même parmi les états membres, chacun le définit selon ses intérêts. Si ce concept n’est donc pas dirigé contre la Chine (malgré son nouveau statut de strategic competitor), il représente le fondement d’un rééquilibrage de la relation sino-européenne, que ce soit en évitant au mieux les tensions, la voie allemande, mais aussi en n’hésitant pas à critiquer la politique chinoise comme a pu le faire la France.
L’Inde, pivot de l’indopacifique « à la française » ?
La France avait énoncé les éléments soutenus par l’Allemagne et les Pays bas dès 2018 en y ajoutant un volet militaire. L’Allemagne aborde celui-ci en annonçant la participation de la frégate Hambourg à des exercices dans la région en 2021, mais les ambitions françaises sont capitales. Il s’agit d’y défendre sa souveraineté, d’où un rapprochement marqué avec l’Inde, ainsi que défendre la souveraineté de la région des coopérations renforcées avec les pays de la région partageant les mêmes appréhensions.
D’autant plus que, depuis 2018, de nombreux évènements ont eu lieu dans la région. En premier lieu, l’aggravation des tensions autour de la frontière sino-indienne. Sur ce point, la France a clairement pris le parti de Delhi en dénonçant le comportement agressif de Pékin, l’appelant à régler les contentieux en respectant le droit international. De plus, Paris a réitéré son soutien à l’Inde sur la question du Cachemire tandis que les relations franco-pakistanaises sont au plus bas. Alors que des attentats terroristes frappaient le territoire national, le Premier ministre pakistanais Imran Khan s’en était pris au Président français, l’accusant de provoquer délibérément les musulmans. À l’opposé, l’Inde apportait son soutien à la France. Paris faisait donc part publiquement de ses positions envers la Chine et le Pakistan, les deux adversaires principaux de l’Inde.
Le renforcement des liens entre l’Inde et la France
Afin d’y parvenir, Paris a nommé en octobre 2020 un ambassadeur pour l’Indopacifique afin d’y défendre et de promouvoir les intérêts français dans la région. Ancien ambassadeur en Australie, Christophe Penot, aura pour tâche d’appliquer la stratégie adoptée en 2018 par la France et l’Inde lors de la visite du Président français à Delhi(Joint Strategic Vision of India-France Cooperation in the Indian Ocean Region). Leur partenariat doit permettre de maintenir la paix, la sécurité et la stabilité dans la région tout en y assurant la liberté de circulation et la protection des voies commerciales.
Sans que la France ne remplace le rôle crucial des États-Unis dans la politique étrangère indienne, l’importance de Paris pour l’Inde n’est pas à négliger. Par exemple, les exportations françaises d’armement ont connu une augmentation de 572% sur la période 2013-17. Si la vente de chasseurs rafales vient à l’esprit, c’est aussi grâce à la France que l’Inde a pu relancer son programme Project 75, des transferts de technologie des Scorpènes devant permettre à l’Inde de se doter d’une flotte de sous-marins construits localement (en plus de son programme de SNLE). Delhi ne pouvait obtenir les technologies nécessaires auprès des États-Unis, Washington imposant des restrictions à certains types de transfert de technologies dédiées aux sous-marins. D’autre part, quand l’Inde a créé un centre dédié à la surveillance de l’Indian Ocean Region (Information Fusion Centre – Indian Ocean Region), la France fut le premier pays à y envoyer un représentant, l’Inde pouvant rejoindre à court terme l’European Maritime Awareness in the Strait of Hormuz (EMASOH) situé dans la base française d’Abu Dhabi.
Italie et Royaume-Uni, vers un renforcement des liens avec l’Inde
L’Italie
Déjà d’importants partenaires dans le domaine de la finance, du chemin de fer et de la construction automobile, l’Italie est le cinquième partenaire commercial de l’Inde au sein de l’Union européenne. La coopération se fait également dans le domaine de la construction navale entre Fincantieri et Cochin Shipyard Limited afin de construire conjointement des navires de tous types.
Le Royaume-Uni
Même si le Premier ministre n’a pu se rendre à la parade du Republic Day, Boris Johnson avait choisi l’Inde pour faire la promotion de la campagne Global Britain. Sur fond de refroidissement entre Pékin et Londres, les liens indo-britanniques restent profonds. En effet, le Royaume-Uni est l’un des investisseurs les plus importants en Inde avec la présence de 400 compagnies britanniques tandis que l’Inde est, là aussi, un des pays qui y investit le plus avec la présence de plus de 800 entreprises indiennes.
Pendant la première vague de la pandémie, l’Inde a livré 11 millions de masques et 3 millions de boites de paracétamol (With his post-Brexit trip to India, UK PM Boris Johnson aims to send a statement of intent) au Royaume-Uni. Et dans le contexte post-Brexit, après un renforcement de leurs liens économiques décidé en octobre 2020, il s’agit pour Londres de négocier un véritable accord commercial et de miser sur la montée en puissance de l’Inde afin qu’elle pèse dans la gouvernance mondiale. Pour cela, Londres l’a convié au G7 qu’elle doit organiser en 2021. Après avoir décidé en 1967 de rapatrier ses troupes à « l’est de suez », c’est un retour des Britanniques dans la région.
Ainsi, si la région Indo-Pacifique se retrouve au centre de l’attention de certains pays européens, l’Inde peut y jouer un rôle pivot en soutenant les intérêts commerciaux et sécuritaires des Européens. En 2003, dans le contexte des tensions entre une partie de l’UE et les États-Unis, la relation sino-européenne avait connu une certaine embellie pendant deux ans, jusqu’à l’affaire de Taiwan et de la levée de l’embargo. Aujourd’hui, les domaines de coopération restent nombreux, mais la Chine est désormais un strategic competitor.
Cependant, le rapprochement de certains États membres avec l’Inde peut être le déclencheur d’un véritable partenariat entre l’Union européenne et l’Inde, allant au-delà des Joint statement des sommets bilatéraux ou des Joint action Plan successifs, marqués par l’emploi du conditionnel et une « diplomatie déclaratoire ».
Pour aller plus loin (en anglais) :
Federal gouvernment, Germany, Policy guidelines for the Indo-Pacific region
Netherlands Unveils Asia Strategy, Urges EU to Speak Out on South China Sea