La politique étrangère et de sécurité commune et l’Asie : l’ère de l’apprentissage pour la diplomatie européenne ? 1991-2011.

Thèse soutenue à l'Université de Genève

le 29 octobre 2020

J’étudie l’ensemble des relations entre l’Europe et l’Asie tant les domaines de coopération/compétition sont nombreux, tout comme la multiplication des rencontres à différents niveaux, sur fond d’avancées institutionnelles quant à la gestion de l’action extérieure européenne. Réfléchir à l’image de l’Europe et son action sur la scène internationale permet de définir sa crédibilité aux yeux de ceux qui jugent selon des critères westphaliens. Pour cela, l’Asie offrait l’opportunité d’étudier différents aspects de la relation : le bilatéralisme, l’interrégionalisme (ASEAN), le transrégionalisme (ASEM) et « les multilatéralismes ».  De fait, c’est aussi l’émergence de la région, et de certains états clés (Chine, Inde, Japon, Corée) qui en ont fait le candidat le plus approprié pour y étudier la diplomatie européenne, l’Asie y bénéficiant de ses expérimentations, que ce soit dans la méthode ou dans les domaines. 

Par l’analyse des relations euroasiatiques entre 1991 et 2011, il s’agit d’étudier le rôle qu’a pu jouer l’Asie dans l’action extérieure européenne, celle des institutions européennes et des États membres les plus impliqués dans la région, elle qui était définie comme pivot de la PESC en 1997. Si cette diplomatie européenne va se professionnaliser progressivement, c’est aussi par les obstacles qu’elle devra surmonter. Ainsi l’étude des relations entre l’Europe et l’Asie permet d’évaluer la pratique européenne des relations   internationales, sa crédibilité dans une région qui peut être vue comme le laboratoire de son apprentissage, mais aussi de s’interroger sur un éventuel « retour d’expérience » des rapports Europe-Asie dans la définition d’une autre forme de diplomatie, plus complète. La relation entre l’Europe et l’Asie et la stratégie asiatique mise en place par les instances communautaires en complément de celles des états membres a-t-elle apporté quelque chose à la mise en place de la diplomatie européenne ? Et si oui, dans quel domaine ?

Afin d’étudier la problématique, quatre axes se dessinent en complément d’une grille d’analyse en théories des relations internationales : Histoire de la relation ; Le contexte institutionnel ; Les différents niveaux ; Les domaines d’interactions amenant à cinq questions centrales.

Comment peut-on définir la diplomatie européenne ? : Auparavant marquée par la gestion de l’Aide publique au développement, l’action extérieure de l’Union européenne s’est élargie à de nombreux domaines. Ses relations avec l’Asie vont mettre ses valeurs à l’épreuve, mais également, par les obstacles à surmonter, développer son tissu diplomatique sur plusieurs niveaux tout en mettant à profit une autre caractéristique de son action, son expérience dans la gestion des crises civiles.

Quel est l’apport des différents niveaux ? : Par le renforcement du bilatéralisme, l’UE a pu mieux connaitre les intérêts défendus par ses partenaires, cela n’implique pas de les accepter, mais la multiplication des sommets profite à la connaissance mutuelle et même si l’on peut parfois parler de diplomatie déclaratoire, cela a permis à la diplomatie européenne d’exister alors que tous les regards étaient portés vers l’Asie. Le régionalisme et le transrégionalisme peuvent à la fois faciliter le travail de l’UE et le compliquer, mais certains sommets ont marqué son apprentissage (ASEM 1996-2002 ou ASEAN en 2007 avec la relance de la coopération). L’ASEM devient un large forum de discussions ou les rencontres ministérielles annexes peuvent être un atout important pour la diplomatie européenne. Le régionalisme offre à l’UE un moyen supplémentaire pour renforcer sa stature internationale. Quant au multilatéralisme, le bilan est plus mitigé pour l’UE, elle a une relation très forte à l’ONU, mais l’échec même de l’organisation ainsi que les divisions européennes sur sa réforme ont fait beaucoup de tort à la politique des institutions communautaires, les États membres cherchant à s’intégrer à la club governance, avec parfois la présence de la Commission.

Leur multiplication a-t-elle permis à la diplomatie européenne de progresser ? : L’action extérieure européenne se déploie donc sur plusieurs niveaux ce qui lui permet de dépasser les blocages qui peuvent exister dans certaines relations. Le cas de la Birmanie avec l’ASEAN sera l’élément formateur, mais à travers l’interrégionalisme, le transrégionalisme, les sommets UE+1 ou la diplomatie des États membres quand une position commune est acquise, la diplomatie européenne en profite pour parfaire son apprentissage et ses méthodes. Visibilité, par la réforme des délégations et du SEAE, et crédibilité, par la soft security l’AMM n’étant pas le KEDO, seront les maitres mots de la présence européenne et la possibilité d’agir sur plusieurs niveaux n’est pas synonyme de confusion.

Quels sont ses domaines d’actions ? : La Politique commerciale commune a dû faire face à l’irruption de nouveaux sujets (ceux des Questions de Singapour) en plus de l’introduction de normes environnementales et sociales dans la conclusion des accords. Mais pour l’UE, il s’agissait de soutenir le tissu multilatéral et d’intégrer les émergents au système international dont la plupart des institutions reposaient encore sur Bretton Woods. Mais c’est le domaine culturel qui est sous-évalué dans la relation entre l’Europe et l’Asie. Sous l’action conjointe des institutions européennes et asiatiques, ainsi que celle des États membres, de nombreux programmes et sommets permettent les échanges entre peuples à travers de nombreux forums et le développement de la track two diplomacy tout en soutenant les autres domaines comme la défense des droits de l’homme avec la lutte contre la peine de mort en RPC. Dans le cas de la défense et de la sécurité, des progrès ont été accomplis, mais il est difficile de juger sur un domaine où les prérogatives des États membres restent fortes, néanmoins, sans les organes de la PSDC, la gestion des crises civiles n’aurait pu avoir lieu de manière coordonnée donc, sur ce point aussi, la PSDC, par l’ARF, l’AMM et le Timor, a appris de l’Asie, sans oublier l’Afrique.

La politique asiatique communautaire profite-t-elle à la diplomatie européenne ? : L’attrait pour l’émergence asiatique a poussé les Européens à définir des politiques asiatiques d’abord en ordre dispersé puis de manière un peu plus cohérente avec la Nouvelle Stratégie Asiatique. Mais c’est aussi la volonté de participer à la stabilisation de la région tout en mettant en avant les droits de l’homme puis la lutte contre le réchauffement climatique. Projet ambitieux pour une région qui connait plus de régimes autocratiques que de démocraties et dont la croissance économique pèse pour beaucoup dans l’émission des gaz à effet de serre. Mais l’implication de l’UE a tous les niveaux lui a apporté une certaine expérience dans la conduite de son action extérieure, d’autant plus dans une région qui devrait peser dans le 21ème siècle. Les interactions avec l’Asie poussent l’UE à réfléchir à sa place sur la scène internationale et ainsi, progressivement, à définir des stratégies ciblées, voir une grand strategy.

Mots clés : Union européenne, Asie, Nouvelle stratégie asiatique, ASEAN, ASEM, PESC, PSDC, Chine, Inde, Japon, Corée, Aceh Monitoring Mission.