Focus sur …. L’eau de l’Himalaya

L’eau du Tibet

Glaciers et chute de neige donnent au réseau hydrique du plateau tibétain un rôle primordial, celui de fournir de l’eau à 47% de la population mondiale et à des millions d’agriculteurs. Les plus grands fleuves prennent leur source au Tibet dont le Mékong, le Yantsé, le Brahmapoutre, le Salwen et l’Indus. L’Inde dépend pour 1/3 de son eau potable de cette région et, devant les projets d’infrastructures dans le Yunnan et au Tibet, les parlementaires indiens représentants les zones concernées pressent le gouvernement central d’obtenir des clarifications de la part de la RPC.

Pour son développement, la RPC a besoin d’eau, car certaines régions de son territoire sont peu approvisionnées, comme la Chine du Nord, où l’industrialisation et la pollution ont rendu certaines rivières impropres à la consommation. Les premiers projets chinois d’infrastructures remontent aux années 1980 avec la construction de barrage pour fournir la région de Guangdong en énergie, plus de 1500 km à l’est. En 1998, Wen Jiabao, alors vice-premier ministre, avait d’ailleurs déclaré que la survie de la nation chinoise était menacée par un manque d’eau tandis qu’une année auparavant, un scientifique chinois avait publié une étude dans lequel il affirmait que la construction d’un canal Sud-Nord augmenterait les terres arables de 133 millions d’hectares et fournirait des emplois à 160 millions de personnes.

Le cas du Brahmapoutre…

La Chine envisagerait donc de détourner une partie du Brahmapoutre, qui traverse l’Inde et le Bangladesh pour rejoindre le Gange, afin d’alimenter le nord et l’est du pays à l’aide de trois rivières artificielles. En 2008, le projet de construire un barrage hydroélectrique de 40 GW sur le Yarlung Tsangpo au Tibet provoqua des inquiétudes des autorités indiennes, le fleuve irriguant les terres de l’Arunachal Pradesh où il prend son nom de Brahmapoutre. Au-delà de retenir le limon qui fertilise les terres, avoir la capacité de retenir l’eau donne à la Chine une influence sur le niveau des cours. Dans le cas où l’Inde souhaiterait mener ses propres projets d’infrastructures, la quantité d’eau nécessaire pour faire tourner les turbines dépendrait du bon vouloir des autorités chinoises.

La construction du premier barrage a débuté en 2009, celui de Zangmu. Mis en service en novembre 2014 et complètement opérationnel en octobre 2015, c’est le premier projet approuvé parmi 28 autres. D’une taille modeste par rapport aux autres barrages envisagés, il pourrait néanmoins fournir de l’énergie aux autres projets. Le cours du fleuve traverse une particularité géologique remarquable, un canyon profond de 5000 mètres dont le dénivelé de 2800 mètres sur moins de 500 Kms a de quoi fournir une énergie hydraulique capable de produire les dizaines de GWs recherchées. Dans ce cas, les terres arables indiennes pourraient connaître un déficit hydrique important et l’Inde a demandé à la Chine de faire preuve de transparence et de partager plus largement ses données hydrogéologiques, ainsi qu’un engagement à ne pas détourner le lit des rivières et à ne pas diminuer le débit des rivières transfrontalières. Créé en 2007, au niveau des experts, un mécanisme commun dans un simple but « d’interaction et de coopération » sur ce point s’est révélé sans grande efficacité.

…et du Gange

Le cas du Brahmapoutre n’est pas un cas isolé, à part le Gange, tous les grands fleuves d’Asie prennent donc leur source du côté chinois de la frontière au Tibet et sont grossis par les eaux du plateau du Tibet. Outre l’Inde, le Pakistan souffre également de graves pénuries d’eau alors que c’est l’un des pays au monde les plus dépendants, ou 80% des exploitations agricoles ont besoin d’irrigation. En 1990, 96% de la consommation d’eau était du fait de l’irrigation et le pays rencontre des difficultés pour financer son barrage Diamer-Bhasha en projet depuis 2006 qui est, de plus, situé au Cachemire. Selon la FAO, en 2007, 39% des zones agricoles équipées pour l’irrigation, et cultivées, se situaient en Asie. Si on prend la part des zones agricoles équipées, mais pas nécessairement cultivées, on atteint le chiffre de 70% de terres se situant en Asie. Une région où, selon la même étude, le déficit annuel de précipitations pour couvrir les ressources nécessaires aux cultures était de 55% pour l’Asie du Sud en 2010, 49% pour l’Asie occidentale et 64% pour l’Asie centrale[1]FAO, The State of the World Land and Water resources for food and agriculture, 2011, p. 34. [En ligne : http://www.fao.org/3/i1688e/i1688e.pdf]. Consulté le 5 mai 2020.. Cela démontre le stress hydrique auquel la zone est confrontée et l’importance stratégique de cette ressource.

Le nord de l’Inde reçoit plus de précipitations que le Pakistan, mais le pays exploite près de 60% de ses ressources en eau par an, pour les besoins des habitants, l’agriculture, mais aussi en raison du gaspillage. De plus, près de la moitié des précipitations se produisent en 15 jours et les capacités de stockage ne sont pas adéquates. Pour remédier à cela, le gouvernement indien prévoit de construire d’importants barrages dans l’Himalaya qui lui permettraient de produire près de 70000 mW d’énergie hydroélectrique, mais aussi de faire avancer un ambitieux projet, l’Interlinking of Rivers Project (IRP)[2]Ministry of Jal Shakti, Department of Water Resources, Interlinking of Rivers. [En ligne : http://mowr.gov.in/schemes-projects-programmes/schemes/interlinking-rivers]. Consulté le 5 mai 2020.. Élaboré en 2002, il s’agit de connecter 37 fleuves avec 9000 km de canaux et pour être viable, l’IRP a besoin des eaux en provenance du Tibet pour en détourner une partie vers l’ouest. Maintes fois repoussé pour des raisons politiques et économiques, la Cour suprême indienne a dû intervenir en février 2012 pour ordonner au gouvernement de mettre en œuvre le projet.

Références

Références
1FAO, The State of the World Land and Water resources for food and agriculture, 2011, p. 34. [En ligne : http://www.fao.org/3/i1688e/i1688e.pdf]. Consulté le 5 mai 2020.
2Ministry of Jal Shakti, Department of Water Resources, Interlinking of Rivers. [En ligne : http://mowr.gov.in/schemes-projects-programmes/schemes/interlinking-rivers]. Consulté le 5 mai 2020.