Alors que certains États membres de l’UE, comme la France, renforcent leur coopération avec l’Inde, le projet d’accord global UE-Chine risque de peser sur les relations entre l’Inde et l’Union européenne. Dans le contexte de tensions grandissantes avec la Chine, Delhi ne peut que s’interroger sur la crédibilité de l’UE qui qualifiait Pékin de « rival stratégique systémique » quelques mois plus tôt. Cependant, partenaire stratégique depuis 2003, la relation entre l’UE et l’Inde s’est toujours déroulée à l’ombre des États-Unis, jugés plus crédibles par Delhi. Outre des domaines ciblés ou les coopérations existent, l’UE ne pèse toujours pas le poids qu’elle devrait dans la politique étrangère indienne.
L’accord UE-Chine
Pour l’instant un accord de principe qui doit encore être ratifié, l’accord global sur les investissements (Comprehensive Agreement on Investment, CAI), fruit d’une longue négociation de sept ans, s’attaque à un contentieux historique dans la relation sino-européenne, la réciprocité dans le domaine économique. En effet, il était difficile pour les entreprises européennes d’accéder au marché intérieur chinois et d’avoir la possibilité de répondre aux appels d’offres des marchés publics émis par le gouvernement de Pékin. L’héritage des réformes économiques, la mainmise des « Princes rouges » et de l’Armée populaire de libération, les subventions cachées et l’absence de transparence pénalisaient les entreprises étrangères qui souhaitaient investir en RPC.
Les grandes lignes de l’accord CAI
Le CAI doit permettre une concurrence plus équitable, surveiller les transferts de technologie et prévoit un mécanisme de règlements des litiges. Différents secteurs de l’économie européenne doivent bénéficier de cet accord, avec des modifications apportées par la Chine à la régulation de son marché intérieur comme la suppression de l’exigence de coentreprise dans le domaine automobile, les services financiers ou le marché des hôpitaux privés, entre autres mesures.
Ce projet d’accord offre la possibilité aux entreprises européennes de surveiller, d’une part, le comportement des entreprises publiques chinoises afin qu’elles n’exercent aucune « discrimination dans leurs achats et ventes de biens ou de services » et, d’autre part, l’attribution des subventions dans les secteurs des services, prévoyant des consultations régulières afin d’aborder cette question. Le CAI est également lié au respect de certains principes du développement durable, en matière de droits des travailleurs, d’environnement et de climat alors que la Chine est déjà liée à ces mêmes engagements par des traités internationaux.
La question des droits de l’homme
Absente du projet d’accord, outre l’appel aux autorités chinoises à ratifier deux conventions de l’Organisation internationale du Travail sur le travail forcé, c’est bien cette question qui interroge sur la cohérence de l’action extérieure d’une Union européenne qui cherche à défendre les droits de l’homme tout en signant un accord, de fait, avec le Parti communiste chinois. Bien qu’un mécanisme de discussion existe entre les deux parties depuis 1998 et la publication de la seconde communication de la Commission européenne sur la stratégie à adopter dans la relation UE-Chine, le contexte de la répression à Hong Kong et la situation des Ouïghours brouillent le message européen et soulève de nombreuses critiques, en particulier du Royaume-Uni.
Plusieurs ONGs ont ainsi appelé les instances européennes à inclure un volet sur le respect des droits de l’homme à l’accord. Cependant, le risque pour le CAI viendra du Parlement européen qui n’a jamais cessé de condamner la Chine sur cette question. Le 17 décembre dernier, il a adopté une résolution condamnant le système de travail forcé que les autorités chinoises auraient mis en place afin d’utiliser comme main d’œuvre les minorités musulmanes.
Quel impact pour le CAI sur la relation UE-Inde ?
Alors que le thème des droits de l’homme est un sujet sensible entre Bruxelles et Delhi, notamment sur la question du Cachemire, le fait que l’UE envisage de signer avec la Chine un accord économique sans le conditionner aux respects de certains droits n’est pas un signal encourageant envoyé aux autorités indiennes. Ce que le CAI doit apporter à la relation économique, et donc politique, entre l’Union européenne et la Chine, le soutien européen à l’adhésion de la Chine à l’OMC en 2001 et l’attribution du MES, le statut d’économie de marché, aurait déjà dû lui apporter.
Si le ministère indien des Affaires extérieures n’a pour l’heure pas commenté ce projet d’accord, s’attelant à mettre en avant sa concordance de vue avec la France sur l’Indopacifique, un des plus importants Think tanks indiens est, lui, plutôt critique envers la Commission européenne. Cette dernière est accusée de ne pas prendre en compte le comportement agressif de la Chine, que ce soit contre l’Inde ou en mer de chine méridionale. Cet accord serait également très favorable aux entreprises de téléphonie chinoise comme Huawei ainsi qu’à la Belt Road Initiative même si la BRI n’a pas eu besoin de cet accord pour investir massivement sur le continent européen.
Quant au mécanisme de règlement des litiges, l’ORF met en avant que la Chine ne respecte déjà pas le droit international ni la propriété intellectuelle, aussi, pour les PMEs européennes qui ne disposent pas de la puissance des grands groupes, quels seront leurs moyens d’action en cas de litiges ? Le Think tank s’interroge également sur le rôle ambigu joué par la France et l’Allemagne, à la fois favorables à l’accord, mais aussi à la promotion de leurs intérêts en Indopacifique et donc en mer de Chine méridionale sous l’œil méfiant de Pékin.
L’accord n’est pas encore conclu, mais il risque d’entacher l’image d’une « commission géopolitique » aux yeux des autorités indiennes alors que ces dernières prennent de plus en plus en considération le poids géopolitique que pourrait représenter l’Union européenne.
Pour aller plus loin:
Éléments clés de l’accord global UE-Chine sur les investissements
Vers un partenariat global avec la Chine
En anglais, une sélection d’articles de l’Observer Research Fondation
EU-China deal: short-sold by EC, a reversal ahead
The EU’s China deal doesn’t enhance its global stature