Du 4 au 7 avril 2021, dans le cadre de la mission « Jeanne d’Arc 2021 », la marine française a organisé et dirigé un exercice naval avec les marines indienne, américaine, australienne et japonaise, soit les membres du QUAD. Arrivés au port de Kochi fin mars, le PHA Tonnerre et la frégate Surcouf ont assuré la coordination pour l’exercice « La Pérouse » avec différents types de navire du QUAD, ainsi que des avions de patrouilles maritimes P-8I de la marine indienne.
Plus qu’une nouvelle étape dans la coopération entre et la France et l’Inde, il se dessine un « QUAD Plus » dans lequel la France et d’autres nations européennes (comme le Royaume-Uni) démontrent leur intérêt pour la région Indopacifique, tout comme l’UE qui souhaite définir une stratégie commune sur ce thème. Aussi, quel est l’état de la coopération franco-indienne ? Quelle place revendique la nouvelle administration américaine dans la promotion de l’Indopacifique et l’Inde, proche de la Russie, ne joue-t-elle pas sur les deux tableaux ?
La France, l’Indopacifique et l’Inde
Par ses territoires, ses ressortissants, ses bases militaires et ses intérêts économiques, la France est une nation de l’Indopacifique. Elle l’avait déjà mis en avant dans deux documents, un factsheet des activités françaises et une stratégie de défense française dans l’Indopacifique, les deux documents publiés en 2019. Présente de Djibouti jusqu’aux côtes du Mexique avec Clipperton, la France a plusieurs fois rappelé qu’elle entendait défendre sa souveraineté et la liberté de navigation.
Les intérêts français en indopacifique
La nomination d’un ambassadeur pour l’Indopacifique confirme l’attachement de Paris à compter dans une région qui représente 93% de sa Zone économique exclusive et où vivent 1.6 million de citoyens français sans compter les 200000 qui résident dans les États de la région. De plus, elle dispose d’une présence militaire qui se concentre dans trois zones principales, de Djibouti à la Réunion, autour des iles Crozet, Kerguelen et Amsterdam ainsi que dans la zone pacifique, de la Nouvelle-Calédonie à Clipperton avec la Polynésie française en son sein (voir ce document du Ministère des Armées qui présente le dispositif militaire français dans cette région). 7000 militaires sont ainsi déployés sur cette vaste zone, dont 4100 dans la région de l’Océan Indien. Ce déploiement suscite l’intérêt de l’Inde et dans le même temps, la France a déclaré à plusieurs reprises que l’Inde était son « premier partenaire stratégique en Asie ».
Entre Paris et Delhi, une convergence de vue
Après celui de « La Pérouse », les deux nations mèneront un nouvel exercice naval commun, Varuna, entre le 25 et le 27 avril. Si la première édition s’est déroulée en 1983, sous un format et un nom différents, Varuna a pris de l’ampleur ces dernières années. Tout comme en 2015, la marine nationale mettra en œuvre cette année un groupe aéronaval autour du porte-avions Charles de Gaulle, avec ses Rafale-M, et, pour la première fois, les Émirats arabes unis participeront aux manœuvres en mer d’Oman. (voir mon article sur le partenariat Inde-France-Emirats arabe unis : Le triangle France-Inde-Émirats arabes unis, genèse d’une alliance de raison ?)
La coopération franco-indienne s’est étendue à l’Australie avec la signature d’accords qui permettent aux marines des trois pays de profiter des infrastructures portuaires militaires de leurs partenaires. La France a permis à l’Inde d’obtenir le statut d’observateur au sein de la Commission de l’Océan indien offrant à Delhi la possibilité de participer aux activités du Regional Maritime Information Fusion Centre (RMIFC) basé sur l’ile de Madagascar. De même, grâce à l’appui de Paris, l’Inde a pu affecter un officier de liaison au sein de la mission European Maritime Awareness in the Strait of Hormuz (EMASOH) qui assure la sécurité du transit des navires dans le détroit.
Le renforcement de cette coopération est également dû à un autre facteur, la stratégie américaine quant à la région indopacifique.
Les positions américaines
Dans un article paru en janvier 2021, l’envoyé spécial des États-Unis pour l’Indopacifique, Kurt Campbell, dressait un état des lieux de la balance of power dans la région asiatique, pointant avant tout le renforcement de la puissance chinoise et son « aventurisme ». Dans sa tribune, Campbell déclara sans équivoque que, si on laissait faire la Chine, ce serait la fin de la paix en Asie.
Lors de leur premier déplacement à l’étranger, le Secrétaire américain à la défense, Lloyd Austin, et le secrétaire d’État, Antony Blinken, ont choisi Tokyo comme destination. Un sommet 2+2 avait pour objectif d’aligner les positions américaines et japonaises sur plusieurs sujets, dont la sécurité de la région. Néanmoins, pour Delhi, ces positions sont ouvertement dirigées contre la Chine et les récentes tensions sino-indiennes poussent l’Inde à la prudence sur cette question. Aussi, pour l’instant, elle ne peut s’aligner totalement sur les États-Unis. D’autant que Pékin a récemment mis en garde les protagonistes du Quad contre l’idée de créer un nouveau OTAN en Asie.
Pour l’Inde, un équilibre à trouver
Ainsi, la France offre à l’Inde l’opportunité de développer des partenariats bilatéraux et trilatéraux avec des puissances de la région Indopacifique, avec la France et les Émirats arabes unis d’une part et avec la France et l’Australie d’autre part. Même si le Royaume uni prévoit de renforcer sa présence dans cette région (voir mon article : Le Royaume-Uni et l’indopacifique, le retour à l’est de Suez), l’Inde a refusé la proposition américaine de mener des patrouilles maritimes communes et a choisi de le faire avec Paris.
De plus, elle doit compter avec la Russie qui est fermement opposée au Quad et se retrouve sur ce point avec la Chine. Alors que Delhi souhaite acquérir des S-400, au grand dam de Washington, elle doit entretenir une coopération de longue date avec Moscou en espérant que cette dernière puisse peser sur la Chine et refréner ses velléités expansionnistes dans l’Himalaya. Cependant, l’alliance entre Moscou et Pékin est plutôt une alliance de raison qu’une amitié, l’Inde doit donc diversifier ses partenariats et la France se retrouve au centre d’une partie de l’équation.
Même si cela ne signifie pas que la France puisse remplacer les États-Unis comme security provider auprès de l’Inde, on assiste à un partage des tâches dans la région indopacifique avec les États-Unis qui se concentrent dans le Pacifique et les mers de Chine tandis que l’Inde et la France doivent prendre en charge la sécurité de la région de l’océan Indien, avec le soutien distant de Washington…
Pour aller plus loin (en français) :
La stratégie de défense française en Indopacifique – Résumé
La stratégie de défense française dans l’Indopacifique
En anglais :
French Amphibious Ready Group Set Sails For The Indo-Pacific
Australia France India Japan And The United States Take Part In Exercise La Pérouse
French warships arrive in Indian waters for joint exercise with Quad navies
France and Security in the Indo-Pacific
How America Can Shore Up Asian Order
Quad cannot replicate NATO, given internal divergence and China’s economic clout
Find right balance: India-Russia ties are important but so is the Quad Inbox