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La politique étrangère et de sécurité commune et l’Asie : l’ère de l’apprentissage pour la diplomatie européenne ? 1991-2011

Mûri par l’histoire européenne, la pensée kantienne et l’esprit de la Société des Nations, le projet européen avait pour ambition de mettre au cœur du système mondial le respect du droit international. En opposition à la pensée hobbesienne et l’équilibre des forces responsables de nombreux conflits, les pères fondateurs prônaient alors la concertation avec comme premier modèle, la réconciliation franco-allemande. Néanmoins, emprisonnée dans la bipolarité avec le Rideau de fer comme frontière orientale, l’Europe de l’Ouest composera avec la guerre froide et un nouvel équilibre de la terreur. La construction et l’intégration européenne devront s’accommoder de cet état de fait et c’est par l’économie qu’elles débuteront avec la constitution de la première institution supranationale, la Communauté européenne du charbon et de l’acier en 1951. Cette Europe divisée était alors au centre de l’affrontement idéologique tandis que des régions périphériques, comme l’Afrique et l’Asie, étaient plongées dans des processus de décolonisation délicats. Les Communautés européennes ne disposaient que de l’attribution de l’aide publique au développement communautaire pour influencer le comportement international des États tiers tandis que les États membres suivaient des lignes diplomatiques parfois bien distinctes. Il faudra attendre les années 1970 pour qu’émerge la Coopération Politique européenne qui, en complément du projet commercial, devait donner aux Communautés le moyen de défendre et promouvoir leur vision des relations internationales sur la scène mondiale. Il sera pourtant difficile d’arriver à des positions communes, la Déclaration de Venise sur le processus de paix au Moyen-Orient en juin 1980 restant un événement exceptionnel. Pourtant, les instances qui participent à la CPE formeront l’ossature du second pilier de Maastricht. Alors que la chute du mur et la fin de la bipolarité redonnent une certaine marge de manœuvre et de liberté au continent européen, c’est aussi l’occasion pour la CEE de se transformer, d’approfondir son intégration, de s’élargir et même d’envisager une Politique étrangère de Sécurité Commune. La convocation en mars 1990 d’une Conférence intergouvernementale pour réfléchir à ces questions donnera naissance au Traité de Maastricht deux ans plus tard. En Asie, la situation est très différente, l’URSS disparaît, mais la région reste marquée par son histoire récente. Divisée en sous-ensemble, du sud, sud-est, nord-est, ainsi qu’entre anciens partisans d’une ligne pro-soviétique, pro-américaine, prochinoise ou dans une apparente neutralité, l’enjeu politique et économique qu’elle représente va en faire le cœur du monde post-guerre froide attirant l’ensemble des puissances du 20ème siècle, États-Unis et Europe de l’Ouest en tête.

La CEE avait déjà noué des liens avec l’ASEAN à la fin des années 1970, les deux organisations bâtissant une coopération économique tout en partageant une certaine appréhension face à l’expansion communiste dans la péninsule indochinoise. Alors qu’en Europe, la chute du mur signifiait à court terme une réunification du continent et une pacification de la région, là aussi, il en allait être autrement en Asie ou les rapports inter-étatiques restaient plutôt marqués par le rapport de force que la coopération. La formulation d’une Nouvelle stratégie asiatique de l’Union européenne en 1994 va cohabiter avec l’action diplomatique des États membres pour développer une nouvelle ère coopération économique et politique avec les pays et organisations de la région. Face à la présence américaine et aux nombreuses zones de tension, la diplomatie européenne engluée dans la crise yougoslave va devoir prouver qu’elle peut être un acteur crédible sur lequel peuvent compter les pays asiatiques. De plus, elle évoluera dans un schéma institutionnel complexe qui crée une première hybridité, la Politique étrangère et de sécurité commune étant intergouvernementale, donc aux mains des États membres tandis que la Politique commerciale, élément crucial de l’action extérieure européenne, est communautaire ce qui n’empêche pas les États membres de mener leur propre agenda diplomatique. Il y a donc une hybridité institutionnelle qui s’impose aux Européens, qui évoluera entre Maastricht et Lisbonne, et à laquelle s’ajoute une hybridité dans les mécanismes de dialogues que les Communautés pratiquent sur la scène internationale. Cette diplomatie européenne doit de plus s’adapter aux bouleversements d’un monde post guerre froide qui mêle globalisation et régionalisation. L’UE mène donc sa diplomatie sur plusieurs niveaux, une forme de bilatéralisme interrégionale avec les grands États asiatiques, un interrégionalisme plus classique avec les organisations de la région, ASEAN en tête, ainsi que des dialogues sur les grandes questions et enjeux du monde contemporain au sein des institutions multilatérales, ONU et l’OMC en premier lieu. À ce schéma va rapidement s’ajouter le dialogue ASEM, un compromis entre intergouvernementalisme et représentation communautaire, ainsi que la multiplication des dialogues régionaux du fait de l’émergence de nouveaux acteurs qui s’offrent un leadership au sein de groupe de pays comme le G23 ou les BRICS.

L’action européenne se déploiera dans d’autres domaines que l’économie avec l’émergence de dialogues politique, culturel puis sécuritaire avec les forums régionaux comme l’ASEAN Regional Forum. Vulnérable aux aléas d’une histoire mondiale marquée par une interdépendance croissante, la relation Europe-Asie devra aussi compter avec l’esprit européen qui se manifestera dans la défense des droits de l’homme et de l’environnement, deux domaines qui ne seront pas sans créer des tensions avec plusieurs pays asiatiques. L’histoire commune pèsera également lourd, celle de la colonisation à l’origine d’un clivage identitaire, le Western universalism opposé à l’Asian relativism, et conceptuel, la pratique de la politique étrangère étant différente. Cette Nouvelle stratégie asiatique qui a pour ambition de faire évoluer le rôle de l’Europe, la faisant passer d’une pourvoyeuse d’aide au développement à un véritable partenariat commercial et politique, doit aussi faire connaitre l’Asie aux Européens et inversement. Il y aura donc la mise en place d’un important programme d’échanges culturels ainsi qu’entre hommes d’affaires que la création de l’Asia Europe Fondation en 1997 renforcera. Sur le plan politique, au-delà de l’engagement avec l’ASEAN, l’UE se tournera vers la RPC et le Japon, puis plus tardivement vers l’Inde et la Corée, ces quatre pays représentant la vitrine de son action bilatérale, des premiers contacts à la notion de « partenariats stratégiques ». Dans le cas de l’ASEM, l’Europe et l’Asie auront l’ambition de dépasser les frictions sur les droits de l’homme et Bruxelles adoptera pour cela l’Asian way pour promouvoir un processus de dialogue reposant sur trois piliers, le politique, l’économique et le culturel. Composées de plusieurs niveaux et multidomaines, les relations euroasiatiques seront aussi sujettes à l’influence d’acteurs extérieurs, États-Unis en premier lieu, tout en se déployant dans des régions où les deux partenaires peuvent être en concurrence comme en Afrique ou en Amérique latine.

Si cette diplomatie européenne va se professionnaliser progressivement, c’est aussi par les obstacles qu’elle devra surmonter. L’étude des relations protéiformes entre l’Europe et l’Asie permettent d’évaluer la pratique européenne des relations internationales, sa crédibilité dans une région qui peut être vue comme le laboratoire de son apprentissage, mais aussi de s’interroger sur un éventuel « retour d’expérience » des rapports Europe-Asie. Ces derniers, que ce soit par les relations bilatérales étatiques, celles conduites par des institutions européennes en mutation ou par les organisations asiatiques, influent-ils sur sa mise en œuvre ?