Malgré les négociations, les tensions persistent

Tandis qu’une nouvelle négociation, la neuvième depuis l’affrontement de Galwan, doit permettre une désescalade durable des tensions sur la frontière sino-indienne, plusieurs éléments peuvent tempérer l’optimisme. Bien qu’une majorité d’Indiens (57%) préfèrent que cette situation se règle par la négociation (alors qu’ils étaient 59% à envisager une guerre en aout 2020)[1]Mood of the Nation poll: Not war, Indians feel talks best way to end LAC dispute with China, … Continue reading, c’est l’ensemble de la frontière sino-indienne qui voit le contentieux se raviver.

Il n’est plus seulement question du Ladakh, de la partie occupée du Cachemire et du Corridor économique Chine-Pakistan ou du projet de barrage chinois, des troubles auraient eu lieu au Sikkim tandis que la Chine aurait bâti des infrastructures en Arunachal Pradesh. Nouveau déploiement de troupes, espionnage et cartographie 3D de l’ensemble de la frontière par la Chine, cela sur fond de révélations américaines et de « communiqués » de Think tank chinois, le climat reste glacial en Himalaya.

Le soutien des États-Unis à l’Inde…

Peu de temps avant l’arrivée de la nouvelle administration, la maison blanche a déclassifié un document d’orientation stratégique datant de février 2018, soit 28 ans plus tôt que l’usage. Avec l’objectif de clarifier les positions prises par l’administration Trump et d’inciter la suivante à faire de même, la stratégie des États-Unis en indopacifique est ouvertement dirigée contre la Chine. Au cœur de cette politique, l’alliance avec le Japon, l’Australie et surtout l’Inde qui partage les préoccupations américaines quant à l’avenir de la région. Ainsi, renforcer l’Inde après l’épisode de Doklam, c’est créer une puissance capable de contrebalancer la Chine si la situation s’aggravait.

La cinquième page du document est relativement claire quant aux objectifs américains : faire de l’Inde un partenaire majeur dans le domaine de la défense en soutenant le développement de ses capacités militaires tout en l’appuyant diplomatiquement ainsi qu’en lui fournissant des renseignements pour l’aider à gérer le contentieux frontalier ou la question de la répartition de l’eau. Le Japon et l’Australie sont également mis en avant afin de contrer les pratiques commerciales et industrielles chinoises jugées néfastes aux intérêts américains. Ainsi, le Quad doit limiter les capacités chinoises, y compris la modernisation de ses capacités militaires (page 6) et contrarier sa stratégie de déploiement sur les chaines d’iles.

.. n’est pas sans risque pour Delhi

En effet, quelques jours auparavant, un article de l’Institute for International Studies de Shanghai s’interrogeait sur les déclarations de l’ambassadeur américain à New Delhi. Soutenant l’Inde face à la posture « agressive » de la Chine au Ladakh, les États-Unis auraient également fourni des armes et de l’équipement aux forces indiennes afin de leur permettre de maintenir leurs positions. Pour le SIIS, il s’agit de forcer l’Inde, en maintenant la pression sur la Chine, à s’aligner définitivement sur les positions américaines. Ainsi, sa position serait celle de la Chine dans les années 1970 au moment de son rapprochement avec les États-Unis afin de s’opposer à l’URSS. Dans ce schéma, c’est la Chine qui remplace l’URSS et l’Occident qui doit soutenir le développement de l’Inde.

Pour le SIIS, que ce soit Trump ou Biden ne changera pas la donne, le soutien américain « pousserait Delhi à provoquer d’autres affrontements » sur la frontière en 2021 afin de prouver son utilité et sa valeur dans la stratégie de Containment envers la Chine. Cependant, dans l’éventualité d’un affrontement plus violent entre l’Inde et la Chine, il est peu probable que les Américains envoient des troupes soutenir les forces indiennes dans l’Himalaya. Le rapprochement indo-américain serait profitable avant tout à Washington, Delhi ne faisant qu’y perdre son autonomie stratégique.

Pendant ce temps, sur la frontière sino-indienne

Le 14 janvier, un article de l’Hindustan Times révélait que les forces de l’Armée populaire de Libération avaient mené à bien un vaste programme de cartographie 3d de la frontière. Pendant deux ans, à l’aide de drones et de caméras panoramiques, une division de l’APL dépendant du Western theatre command s’était attelée à cette tâche. Cela pourrait être utile de connaitre parfaitement le terrain alors qu’une nouvelle session de discussion s’apprête à débuter, mais c’est également un avantage tactique non négligeable pour y déployer des troupes, de l’équipement ou pour l’utilisation d’armes à guidage de précision.

Des soldats capturés…

Quelques jours plus tard, alors que les services de renseignements indiens faisaient état d’un accroissement de l’activité de l’APL au Ladakh, au Sikkim et en Arunachal Pradesh, l’Inde annonçait la capture d’un « espion » chinois au sud du lac Pangong Tso dans la région du Ladakh. Soldat de l’APL en charge de la réparation d’une ligne de communication, le caporal Zhong Yu a été capturé par l’armée indienne sur la colline de Gurung Hill, une zone où les soldats des deux camps ne sont distants que d’une centaine de mètres.

Si les autorités de l’APL déclarent que le soldat s’était perdu, l’armée indienne affirme que c’est la lampe-torche qu’il utilisait pour réparer la ligne de communication qui l’avait trahi. Il sera remis deux jours plus tard aux forces chinoises, mais la situation se reproduira le 19 janvier avec l’arrestation d’un soldat de l’APL dans un autre secteur du Ladakh, lui aussi remis aux forces chinoises deux jours plus tard afin d’éviter les tensions.

…et un renforcement des effectifs

Malgré une déclaration commune en septembre qui affirmait que les deux parties n’allaient pas augmenter leurs effectifs dans les zones où la tension est la plus forte, comme au Ladakh, il semble que ce soit bien le contraire qui se soit passé. Tout en renforçant ses positions dans le nord du Ladakh, en particulier vers Depsang et Daulat Beg Oldi (une base essentielle de l’Indian Air Force), l’APL a déployé des renforts dans les zones les plus contestées tout en menant des exercices d’envergures à proximité du Sikkim. En réponse, l’armée indienne a fait de même, déployant des troupes, renforçant ses défenses tout en construisant des tranchées. Un schéma classique et un air de déjà-vu de la forward policy qui aggrave le blocage avant la nouvelle session de pourparlers.

Une neuvième rencontre « positive » au Ladakh

Le 24 janvier, pendant 16 heures, les deux parties ont abordé la situation au Ladakh avec l’objectif de définir un protocole de désengagement acceptable par les deux parties. En effet, des dizaines de milliers de soldats restent stationnés malgré les conditions climatiques, notamment autour du lac Pangong Tso. L’Inde souhaiterait un retour au statuquo d’avril et un désengagement d’envergure, voir la création d’une zone tampon sur les rives nord du lac afin que les affrontements qui débutèrent en mai ne puissent se reproduire. Pour sa part, la Chine souhaite que l’Inde retire ses troupes de la rive sud avant qu’elle ne fasse de même. Il est encore trop tôt pour avoir plus de précisions sur le contenu des discussions, outre qu’elles se déroulèrent dans une ambiance « positive et constructive ».

Et un affrontement au Sikkim ?

Le 20 janvier, des troupes indiennes ont intercepté une patrouille de l’APL qui progressait dans la région de Naku La, au nord du Sikkim. Avant le grave affrontement de Galwan en juin 2020, un évènement similaire avait eu lieu au même endroit le 9 mai. Des sources affirment que des combats ont éclaté, blessant 20 soldats chinois et 4 soldats indiens, mais l’armée indienne qualifie l’incident de mineur, une discussion entre les deux commandants ayant permis d’éviter l’affrontement. C’est également la position défendue par les autorités chinoises.

Est-ce le fait que des discussions aient lieu au Ladakh peu de temps après qui a joué sur le récit des évènements ou verrons-nous apparaitre au moment « opportun » des informations qui maintiennent une certaine pression sur l’exécutif indien ? D’autant que l’affaire du « village chinois » construit du côté indien de la frontière en Arunachal Pradesh a fait réagir la porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Hua Chunying. Suite à un reportage d’un média indien (NDTV), elle a rappelé que la Chine ne reconnait pas l’état d’Arunachal Pradesh et que ce village se situe en territoire chinois et non indien. Si ces constructions sont bien réelles, bâties à partir d’aout 2019, les faits sont pourtant connus du gouvernement indien depuis novembre 2020, mais ressurgissent pourtant peu de temps avant le début des négociations.

Ainsi, le contentieux frontalier est redevenu un élément central de la politique indienne (intérieure et étrangère), l’exécutif devant compter avec une opinion publique plutôt volatile comme l’a démontré le sondage. Un plan de désengagement a-t-il été défini lors de la neuvième session alors que la dixième est déjà prévue ? Les deux parties ont pourtant intérêt à profiter de l’hiver et des conditions difficiles pour justifier une désescalade, les évènements de Sumdorong Chu, Daulat Beg oldi, Doklam et Galwan ont tous « bénéficié » du printemps et de l’été…

Voir L’histoire du contentieux frontalier sino-indien sur les Chroniques d’Asie et d’Europe

Plus de détails sur (en anglais) :

Mood of the Nation poll: Not war, Indians feel talks best way to end LAC dispute with China

‘US planned to assist India against China after Doklam’

United States Strategic Framework for the Indo-Pacific désormais dans les archives de la Maison blanche

Farewell Address by Ambassador Kenneth I. Juster: Ambition and Achievement in the U.S.-India Partnership

China’s PLA now has precision 3D maps of India border

PLA soldier handed over to China recently hadn’t strayed into India, says intel

China breaks September pact, quietly makes troop positions stronger in eastern Ladakh

China Insists India Withdraw Troops From Pangong Tso’s South Bank First Before PLA Pulls Back Soldiers

India firm on pull back across eastern Ladakh, says disengagement can’t be limited to Pangong Lake

Latest China-India military talks agree to push for early disengagement as spring nears

Indian, Chinese troops clash in Naku La

Latest China-India border clash fake news: source

Construction in our ‘own territory’ normal, says China on report of building village in Arunachal

Références

Références
1Mood of the Nation poll: Not war, Indians feel talks best way to end LAC dispute with China, https://www.indiatoday.in/mood-of-the-nation/story/indians-feel-talks-best-way-to-end-lac-border-dispute-with-china-mood-of-the-nation-poll-1761752-2021-01-22