Histoire des armées

Histoire des armées

Les forces armées des pays asiatiques, leur histoire et leur composition, nous poussent à nous interroger sur la place de l’armée, de son histoire

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L’APL et la politique intérieure

L’APL sur le modèle de l’armée rouge

Pendant la phase de conquête du pouvoir, de 1927 à 1949, APL et PCC se sont confondus. Les leaders historiques du PCC ont tous occupé des fonctions politiques et militaires durant cette période. En plus de Mao Tsé-toung, on peut citer deux exemples. Chen Yi, l’un des dix maréchaux de la « Longue marche », qui devient le ministre des Affaires étrangères de 1958 à 1967, tandis que Deng Xiaoping, qui était le commissaire politique de la quatrième armée dirigée par Liu Bocheng, fut le secrétaire général du PCC de 1956 à 1967 le plus jeune des maréchaux, Lin Biao, était le successeur désigné de Mao Tsé-toung jusqu’à ce qu’il s’oppose à lui et disparaisse dans un accident d’avion en Mongolie en 1971.

À partir de l’automne 1951, une aide à grande échelle de l’Union soviétique permet à l’APL de débuter sa modernisation. Cette aide a pris la forme de livraisons d’armes et d’équipements, d’une assistance dans la constitution d’une industrie de défense et la présence de conseillers et techniciens soviétiques. Dès la fin des années 1950, les usines d’armements chinoises produiront une large variété d’équipement militaire d’origine russe, mais le refus de la part des Soviétiques de fournir aux Chinois de l’armement plus moderne ainsi que la capacité nucléaire participe à la détérioration des relations entre les deux pays ce qui contribuera au retrait progressif des conseillers et techniciens soviétiques en 1960.

Les Chinois ont donc commencé dès le début des années 1950 à réorganiser leur défense selon un modèle soviétique. En 1954, ils créent le Conseil de défense nationale et treize régions militaires, adoptent les tactiques militaires soviétiques (tanks et artilleries combinés) et créent un corps professionnel d’officiers. L’adoption d’armements modernes oblige les troupes à un entraînement plus poussé, mais elles doivent aussi posséder un niveau d’éducation supérieur, tout cela diminue le rôle des commissaires politiques[1]Un commissaire politique est un officier désigné auprès d’une unité militaire et répondant à une ligne hiérarchique politique distincte de la hiérarchie militaire..

L’alignement de l’armée sur un modèle soviétique crée des tensions entre elle et le Parti. Il craint en effet de perdre le contrôle politique au profit de l’armée aussi il remet à l’ordre du jour la théorie de Mao Tsé-toung comme quoi l’homme est supérieur aux armes et plusieurs campagnes politiques sont menées au sein de l’APL. En septembre 1959, Mao Tsé-toung remplace le ministre de la Défense Peng Dehuai, l’avocat de la modernisation de l’armée, par Lin Biao qui place la « pureté » révolutionnaire au-dessus de tout.

L’APL après le retrait des soviétiques, l’implication dans la « Révolution culturelle »

L’ascension de Lin Biao et le retrait des conseillers soviétiques marquent une nouvelle étape dans l’histoire militaire chinoise. Ce retrait a désorganisé la production d’armement, en particulier l’industrie aéronautique. Lin Biao réorganisa le haut commandement de l’APL et restaura le moral et la discipline dans les rangs. À la fin des années 1950 et au début des années 1960, l’APL combattit sur un front intérieur et sur un front extérieur, tout d’abord elle dut lutter contre les insurrections tibétaines en 1958-1959 et contre l’Inde lors de la courte guerre en 1962 où elle attaqua les positions indiennes à la frontière et mis en déroute son armée avant de se retirer.

Durant la Révolution culturelle[2]Suite aux conséquences de la politique économique décidée par Mao Tsé-toung lors du Grand Bond en avant de 1958, celui-ci quitta son poste de président de la République populaire de Chine et … Continue reading, l’armée joua un rôle politique complexe. Elle était perçue par Mao Tsé-toung comme une institution centrale qui avait pour rôle de maintenir l’unité, mais aussi de guider et d’éduquer le peuple. De 1966 à 1968, l’entraînement, la conscription ainsi que l’éducation politique cessèrent virtuellement tandis que l’armée devait en premier lieu promouvoir la Révolution culturelle et par la suite rétablir l’ordre. Elle fut impliquée dans la Révolution culturelle par son chef, Lin Biao. Au début de 1967, le haut commandement fut purgé et les commandants des régions militaires reçurent l’ordre d’assister les révolutionnaires mais ces commandants étaient surtout des conservateurs qui n’aimaient pas l’idée de confier le pouvoir à la masse, aussi une nouvelle purge eut lieu. En 1967, plusieurs postes de commandement militaires furent attaqués par les révolutionnaires, les gardes rouges, et la violence s’amplifia. En septembre, les autorités centrales ordonnèrent l’arrêt des attaques contre les militaires, mais la violence continua jusqu’en 1968 et la dissolution des gardes rouges.

L’inquiétude que provoqua la création de factions militaires durant la Révolution culturelle donna naissance à un système de rotation des commandements de régions et d’unités pour éviter que des commandants régionaux de l’APL n’aient trop d’influence sur le PCC au niveau local. De plus, l’invasion soviétique de la Tchécoslovaquie, la doctrine Brejnev[3]Formulée en septembre 1968, la doctrine Brejnev prône une souveraineté limitée des États satellites de l’URSS. Elle visait essentiellement à préserver l’attachement des pays … Continue reading, l’accroissement de la présence militaire soviétique non loin des frontières chinoises et les affrontements frontaliers qui en découlèrent à l’été 1969 poussèrent Lin Biao à redonner à l’APL un rôle militaire. Il lança un important programme qui consista à réorganiser l’entraînement, accroître les fonds alloués et la préparation militaire par le biais d’importants exercices.

Le désengagement politique de l’APL

Après la mort de Lin Biao en 1971, l’APL commença à se désengager du domaine politique et à repasser progressivement sous le contrôle du gouvernement civil après que tous ses partisans aient été chassés des postes clés et que certaines victimes des purges précédentes aient retrouvé leur poste. Le budget de l’armée chuta de 20 % en 1971 et l’accent fut mis sur la modernisation des forces au sol et le développement des missiles à courte et moyenne portée plutôt que la production aéronautique et le programme de missiles intercontinentaux. Durant les années 1970, d’autres programmes de modernisation de l’armée furent lancés mais jusqu’à la mort de Mao Tsé-toung en 1976, la situation politique était troublée. Deng Xiaoping fut le premier civil à être nommé chef d’état-major en 1975 mais il fut démis de ses fonctions en 1976 et ce sera seulement lors de l’arrestation de la « Bande des quatre »[4]Groupe de maoïstes radicaux instigateurs de la Révolution culturelle dont la veuve de Mao (Jiang Qing) faisait partie avec Zhang Chunqiao, membre du bureau politique, Yao Wenyuan, membre du … Continue reading que l’ère du radicalisme politique prendra fin.

À partir de 1977, Deng Xiaoping, soutenu par l’armée, retrouve la place de chef état-major et devient aussi vice-président de la Commission militaire centrale. En décembre 1978, il lance la campagne des « Quatre modernisations », qui marque le début des réformes. Elles couvraient les domaines de l’agriculture, de l’industrie, de la science et technologie et de la défense nationale. En 1979 eut lieu une courte guerre (16 jours) entre la Chine et le Vietnam qui révéla les nombreuses lacunes dont souffrait l’APL. En effet, même si les Chinois s’étaient enfoncés de 50 kilomètres dans le territoire vietnamien, ils avaient subi des pertes colossales, ceci dû à un manque d’officiers, de moyens de communication et d’armements modernes. Suite à cela, de nouveaux changements furent opérés dans l’APL. Tout d’abord, il y eut une nouvelle réforme de l’organisation militaire, au niveau de la doctrine et de l’éducation, pour améliorer l’efficacité au combat. La doctrine militaire de Mao Tsé-toung fut révisée et renommée « la guerre du peuple dans un environnement moderne » et envisageait une défense avancée des villes chinoises proches de la frontière. Les effectifs furent réduits avec reclassement dans la milice d’une partie des troupes. Celles de l’APL recevraient un équipement moderne, les grades et les insignes furent réintroduits.

De plus, Deng Xiaoping entama la transformation du réseau de la défense en un système indépendant capable de maintenir une force militaire moderne. On réorganisa la recherche-développement et l’industrie pour rapprocher les sciences civiles et militaires. La Chine intégra également le marché international des ventes d’armes et l’industrie de la défense commença à produire des biens de consommation destinés aux civils. En 1981, il accède formellement au poste de président de la Commission militaire centrale du PCC après avoir politiquement éliminé son rival, Hua Guofeng. Il accélère les réformes et diminue le nombre de régions militaires, de 11 à 7, pour écarter du pouvoir des commandements de régions qui devenaient trop puissants pour le gouvernement central. Avec la réforme de la constitution en 1982, la Commission militaire centrale est créée, elle tend à se confondre avec celle du PCC et avait pour but de constituer une nouvelle autorité qui superviserait l’armée parallèlement à l’autorité du PCC. L’armée est reléguée exclusivement dans sa mission de défense de l’État. Deng Xiaoping, à sa tête, place ses fidèles aux postes clés pour affermir son contrôle tout en diminuant son rôle politique. La mise sous tutelle de l’industrie de défense, le transfert du contrôle des aéroports, ports et industries aux autorités civiles ont limité encore plus l’influence de l’APL.

Le pourcentage des membres de l’APL pouvant rejoindre le PCC fut limité aux seuls militaires gradés des académies. En 1978, les militaires représentaient 52 % du bureau politique du Parti alors qu’en 1982, ils n’en représenteront que 30 % et 25 % en 1997[5]PLA History, http://www.globalsecurity.org/military/world/china/pla-history.htm. La plupart des gradés de l’APL se conformèrent à cette nouvelle vision de leur rôle, quelques voix discordantes comme celle de Ye Jianying critiquèrent les réformes de Deng Xiaoping, aussi bien sur le plan économique que social, car ils craignaient une démaoïsation de la société et une libéralisation culturelle. En effet, le terme de « cinquième modernisation », la Démocratie, commença à faire son apparition parmi le peuple, le premier à l’avoir employé sur une affiche murale est Wei Jingsheng en 1978. Wei Jingsheng est un ancien garde rouge et désormais un des dissidents chinois les plus célèbres.

Les réformes sous Deng Xiaoping

L’Armée populaire de libération a donc connu une redéfinition radicale de ses objectifs tandis qu’elle affrontait la reconversion de son patrimoine industriel et la démobilisation de centaines de milliers d’hommes. Les événements de juin 1989 provoqueront des changements dans la place que l’APL occupe dans l’appareil gouvernemental. En dépit des ordres de Deng Xiaoping, certaines unités de l’APL refusèrent de marcher sur les étudiants, elles ne voulaient pas avoir le sang de leurs compatriotes sur les mains. D’autres n’eurent pas les mêmes scrupules le 4 juin. Jiang Zemin, qui avait contrôlé la situation dans la ville de Shanghai où il était maire, fut amené à Pékin pour prendre le contrôle du PCC. Les leaders de l’APL firent tout pour qu’il ne prenne pas le contrôle de la CMC, leur citadelle. Yang Shangkun[6]Président de République populaire de Chine de 1988 à 1992. et son demi-frère, le général Yang Baibing, alors secrétaire général de la CMC du PCC, planifièrent un coup d’Etat. Le projet fut éventé et Deng Xiaoping les remplaça, il ne perdit pas de temps pour installer Jiang Zemin à la tête de la CMC du PCC en 1989 et de la CMC de l’État en 1990. Ce fut difficile au début pour Jiang Zemin de s’affirmer mais il était protégé par Deng Xiaoping. De plus, une mesure instituée par lui auparavant fixait un âge limite pour être membre d’un organisme d’État, cela aida Jiang Zemin à stabiliser sa position.

Néanmoins, il dut négocier avec l’APL et l’apaiser avec des promotions, des hausses de salaire mais rappela que l’autorité absolue du Parti communiste chinois sur l’armée était un principe fondamental de la République populaire de Chine. L’APL est en premier lieu une force de combat qui a pour mission de préparer la défense et de contribuer à la puissance du pays car à l’intérieur des  frontières, c’est la Police Armée Populaire (PAP) qui prime sur l’APL pour le maintien de l’ordre sauf quand les événements la surpassent, comme lors de la Révolution culturelle ou bien des événements de juin 1989 ou c’est l’APL et non la PAP qui mena la répression.

Le bombardement de l’ambassade chinoise à Belgrade en 1999[7]Dans la nuit du 7 au 8 mai, pendant la campagne de l’OTAN contre la Serbie, trois bombes américaines touchent l’ambassade chinoise qui déplorera trois tués. et l’incident de l’avion-espion américain en 2001 au-dessus de l’île d’Hainan[8]Collision entre un avion-espion américain, un EP-3, parti de l’île d’Okinawa et un chasseur chinois .L’avion américain a été forcé d’atterrir en Chine sur l’île d’Hainan et … Continue reading le mirent dans une position délicate avec les sentiments antiaméricains qu’ils provoquèrent dans le pays.

Après la prise de pouvoir de Hu Jintao sur le PCC et la CMC en 2003-2004, la montée en puissance de l’APL continua. À partir de 2004, l’APL et ses Think tanks commencèrent à critiquer la stratégie mise en place auparavant par Deng Xiaoping dont l’idée maîtresse était de dissimuler sa véritable puissance militaire. Les Think tanks de l’APL poussaient le pouvoir à contrôler ce qu’ils appelèrent la ligne Ouest (Asie de l’Ouest, du Sud, centrale et l’océan indien) et la ligne Est (première ligne d’île dans le pacifique et la mer de Chine du Sud). Les récents exercices militaires chinois dans cette mer, jusqu’aux côtes japonaises, l’absence de  condamnations de la part de la RPC dans l’affaire de la frégate sud-coréenne, peut-être coulée par la Corée du Nord, et les demandes répétées pour que les côtes chinoises soient sous le contrôle exclusif de la RPC tendent à confirmer ce mouvement. La réponse du Parti à travers ses organes de presse, le Quotidien du Peuple par exemple, rappelait que la Chine se devait d’adopter une relation empreinte de maturité avec les USA, admettant que la Chine était plus faible que les États-Unis et qu’un conflit serait désastreux pour elle.

Les piliers du Parti, les « travailleurs » et les « paysans », s’affaiblissent au profit des soldats. L’influence de l’APL sur la politique étrangère s’accroît tandis que le développement du pays entraîne des difficultés pour le gouvernement qui a besoin de l’APL pour maintenir l’ordre tandis qu’elle gagne en autonomie. On peut citer un exemple, c’est l’aide directe apportée par l’armée, séparément du gouvernement chinois, aux victimes pakistanaises des inondations de l’été 2010.

Hu Jintao, avait déclaré « l’armée doit fournir une importante force de garantie pour le parti pour consolider ses choix de gouvernance, fournir une puissante garantie de sécurité pour sauvegarder la période d’importantes opportunités stratégiques pour le développement national, fournir un support stratégique efficace pour sauvegarder les intérêts nationaux, et jouer un rôle important dans la préservation de la paix mondiale et la promotion du développement mutuel ».

Données de 2012, mise à jour en cours.

Références

Références
1Un commissaire politique est un officier désigné auprès d’une unité militaire et répondant à une ligne hiérarchique politique distincte de la hiérarchie militaire.
2Suite aux conséquences de la politique économique décidée par Mao Tsé-toung lors du Grand Bond en avant de 1958, celui-ci quitta son poste de président de la République populaire de Chine et fut remplacé par Liú Shàoqí. Mao Tsé-toung resta officiellement à la tête du PCC mais il fut peu à peu éloigné de la gestion des affaires du pays. En 1966, Mao décida de lancer la Révolution culturelle qui lui permit de revenir au pouvoir en s’appuyant sur la jeunesse du pays. Le dirigeant souhaitait purger le PCC de ses éléments « révisionnistes » et limiter les pouvoirs de la bureaucratie à l’aide des « gardes rouges ».
3Formulée en septembre 1968, la doctrine Brejnev prône une souveraineté limitée des États satellites de l’URSS. Elle visait essentiellement à préserver l’attachement des pays satellites au bloc soviétique et à éviter toute évolution libérale ou anti-communiste.
4Groupe de maoïstes radicaux instigateurs de la Révolution culturelle dont la veuve de Mao (Jiang Qing) faisait partie avec Zhang Chunqiao, membre du bureau politique, Yao Wenyuan, membre du comité central, et Wang Hongwen, le vice-président du PCC.
5PLA History, http://www.globalsecurity.org/military/world/china/pla-history.htm
6Président de République populaire de Chine de 1988 à 1992.
7Dans la nuit du 7 au 8 mai, pendant la campagne de l’OTAN contre la Serbie, trois bombes américaines touchent l’ambassade chinoise qui déplorera trois tués.
8Collision entre un avion-espion américain, un EP-3, parti de l’île d’Okinawa et un chasseur chinois .L’avion américain a été forcé d’atterrir en Chine sur l’île d’Hainan et l’équipage fut détenu pendant 11 jours.